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NG et Accro

Les lieux ressemblent à une usine désaffectée. Entourée de barbelés, nimbée de pénombre, la prison de New York est grise et laide. Une somptueuse Cadillac noire s’est immobilisée à quelques mètres de l’entrée. Impassibles, le visage blanc et buriné, l’air cadavérique, un homme s’avance et s’engouffre dans la voiture. Frank White claque la porte. Le véhicule démarre et s’enfonce lentement dans Manhattan. Il fait nuit. White n’est pas un dealer ni un trafiquant à la petite semaine.
New York
White est ce qu’il convient d’appeler un Monsieur» de la drogue, un grossiste en quelque sorte, la plaque tournante new-yorkaise de dame blanche. White habite au Plaza, est entouré d’une escouade de gardes du corps, s’est entiché de filles sensuelles et de Jumping Jump, son fidèle bras droit (Larry Fishburne, magnifique!). Un conseiller financier à toute épreuve, une belle et redoutable avocate, sans oublier quelques millions de dollars, ont depuis peu rejoint la bande. White and blacks, tout ce petit monde speed à la coke. Un disque de rap tonitruant ramène les protagonistes à des réalités plus douloureuses… White, c’est Christopher Walken. Du sur mesure, un rôle qui lui va comme un gant! Walken, un nom qui résonne comme un coup de glaive. L’acteur possède un itinéraire parsemé de rôles ambigus. Du «Gang Anderson» à «Homeboy», en passant par «Voyage au bout de l’enfer», «Dead zone» et l’excellent «Comme un chien enragé» (se reporter à la vidéographie), Christopher joue toujours le même air, «Walken the wild side». Pour le cinéma, il n’est jamais un parfait «gentil» ni un complet «méchant». Sa filmographie est un champ de bataille où traînent encore les cadavres exquis de rôles sanguinaires entes séquelles imaginaires de batailles livrées en 35 mm. Pour Abel Ferrara, le réalisateur de «The king of New York», «seul Walken pouvait endosser le costume de Frank» (lire interview par ailleurs), «aucun autre choix n’était envisageable.» Nul doute, l’acteur fait mouche dans la peau de son personnage. Avec son teint livide, ses yeux perdus dans le néant, sa démarche somnambulique et son inséparable halo de mystère, White est un truand modèle.

Il a l’intelligence d’un Arsène Lupin, le savoir-faire d’un Houdini et les méthodes d’un Clyde Barrow en plus. White n’a pas de pitié. En revanche, il possède suffisamment de sensibilité pour vouloir s’offrir un acte de contrition en finançant un hôpital du Bronx menacé de fermeture. Coût : 16 millions de dollars. «Que l’on me donne un ou deux ans et je ferai des choses superbes ». Déclare-t-il un soir de détresse à son avocate. On le croit sur parole. À travers White, c’est Ferrara qui parle. Dans son film bleu nuit, Le metteur en scène ne se contente pas de mettre en exergue les problèmes de la drogue aux Etats-Unis. Le portrait ciselé qu’il fait de son trafiquant n’est qu’un prétexte pour dénoncer d’autres fléaux. Peut-être plus ravageurs et désastreux encore que la coke ou le héros : le racisme, les ghettos, les difficultés rencontrées par l’éducation de son pays. Ferrara, fils d’immigrés italiens, a toujours vécu à New York. Son monde n’est pas le World Trade Center ni Broadway, mais bel et bien le Bronx et Harlem : la rue et la nuit. « The King of New York »n’est pas un film de plus sur la drogue et ses sévices, encore moins un « Scarface2 ».

World Trade CenterFrank White est certes un visionnaire souhaitant gouverner l’utopie, un homme dont le regard chimérique se pose sur un monde qu’il souhaiterait meilleur. Au-delà de ses espoirs illusoires et romanesques se dessine un type endurci parce qu’ayant passé la moitié de son existence « à l’ombre », mais surtout un homme au cœur de velours. Qu’il fasse descentes meurtrières dans Chinatown pour y éliminer ses concurrents, qu’il fricote avec les huiles new-yorkaises ou qu’il ne s’attache à aucune femme en particulier ne sont pour lui que les tenants et aboutissants de la compagne qu’il mène à l’encontre de la société et de ses doutes. White a deux visages. C’est un tueur et un séducteur qui désire inconsciemment s’amender, obtenir la rédemption de ses péché en donnant au plus démuni. Voudrait-il se donner bonne conscience ? Lorsque trois loubards tentent de lui soutirer son porte-feuille dans le métro, il ne les abat pas, ne tente pas de les raisonner. White leur montre seulement qu’il est armé, sort une lias de billet vert dans sa poche, la leur donne en pâture et leur propose de passer le voir pour du travail… Simple et efficace. White est capable de cette charité froide qu’on nomme l’altruisme. Sa gueule de cadavre en cavale ne trahit aucun sentiment. C’est quelqu’un de l’intérieur. Il agit par instinct, comme une bête sauvage, incontrôlée lâchée dans la jungle new-yorkaise, son royaume. Autour de Walken gravitent des personnages énigmatiques et emblématiques, tous mis en orbite par un monde qui les rejette et les renie. Ce sont des blacks pour la plupart.

Il y a surtout un Larry Fishburne exceptionnel. Cet acteur, retrouvé à Deauville dans « Cadence » (inédit), de Martin Sheen, incarne un déjanté magnifique, une sorte de compromis entre la hyène et le chacal, un gentil taré et un méchant génie. AJOUTANT Bishop (Victor Argo), un flic qui a juré de remettre White derrière les barreaux avec tous les moyens que lui fournis la justice, c’est-à-dire pas grand-chose .Ses collègues, eux, ont décidé de bafouer les règles du parfait petit flic et d’avoir la peau du trafiquant, mort de préférence. Et Ferrara de nous offrir une course poursuite sanglante en Cadillac-stock-car dans les rues de Manhattan. Enfin, White ne se sépare jamais des femmes, une poigné de créature de rêve, qui, visiblement ne sont là que pour sniffer et apporter un tant soit peu d’érotisme dans la noirceur ferrarienne. « The king of New-York » est certainement le film le plus abouti d’Abel Ferrara (“ Cat Chaser”, “china Girl”, “New-York 2 heures du matin”, « l’ange de la vengeance »…)

Noir et Bleu, romantique et choc, le royaume qu’il nous dépeint sent la fumée et le mauvais alcool. Et le pays qui est le sien « dépense 100 millions de dollars pour shooter » Les films de Ferrara ne sont fréquentés en France que par quelques initiés qui discernent en leur réalisateur le légataire universel de William Friedkin. Sans vraiment se tromper.

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